« Le seul vrai problème philosophique est le suicide », disait Marcel Camus en préambule du « Mythe de Sisyphe ». Pas plus que Schopenhauer, autre chantre de l’Absurde, Camus ne s’est suicidé. En effet, pourquoi l’absence apparente –et probablement bien réelle- de sens enlèverait-elle toute raison de vivre ? Et d’ailleurs, pourquoi faudrait-il « une raison » de vivre ? Et si l’on commençait par simplement ressentir la vie en nous, cette pulsion, cette Volonté, dirait Schopenhauer, cette poussée, dirait Bergson ?
Hier encore, lors de l’échange qui a suivi la méditation zen, nous avons abordé le problème de la Vacuité, trop souvent confondue à tort avec le Néant. Au contraire, je pense que s’abandonner au libre jeu des relations avec ce qui nous entoure, de sentir le mouvement incessant qui se produit en nous, procure un sentiment subtil de légèreté, de joie, de relativité générale. Et cela n’a rien à voir avec une contemplation mortifère. Bien plus, la vraie liberté ne réside pas dans le libre-arbitre, comme l’ont très bien montré Spinoza, St Augustin, Nietzsche et beaucoup d’autres. Elle réside dans le libre exercice conscient de notre pente naturelle, éclairé par une connaissance la plus adéquate possible de nos affects. Et cette liberté, qui est passion au sens de pâtir, d’être passif, est en même temps action, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Mais revenons à notre point de départ. Quel est le fondement de mes actes ? Le Désir, le besoin de sécurité, …soit ! Mais y a-t-il un fondement à nos actes altruistes ? Je ne crois pas trop au fondement rationnel de tels actes, ou plus exactement, ce caractère rationnel doit, selon moi, prendre le relais lorsque le ressenti profond, instinctif qui nous mènerait à de tels actes s’affaiblit. Ce ressenti instinctif existe-t-il ? Avec Schopenhauer (dans « Les fondements de la morale »), je suis tenté de dire que oui. Et ce ressenti pourrait bien être, non la « pitié » qui n’est qu’une mauvaise traduction de « Mitleiden », mais une compassion naturelle. Pas une compassion fade, à la guimauve, où l’on aimerait tout le monde. Avec Jean-Marie, je pense que ce n’est pas naturel du tout. Mais cette compassion instinctive, ce pincement que l’on ressent quelquefois (surtout quand nos propres intérêts ne sont pas en jeu) devant un enfant maltraité, affamé par exemple ou lorsqu’un bulldozer dévaste un petit coin de verdure grouillant de vie. Je crois que nous devons entretenir soigneusement cette petite flamme de l’immanence, si tremblotante, si facile à souffler. La méditation sur l’union avec la Nature nous y aide. Et quand la petite flamme s’éteint, la raison peut prendre le relais. Mais une raison qui ne correspondrait pas de temps à autre avec un ressenti profond me paraitrait suspecte. On ne connaît bien qu’avec le cœur, disait le petit Prince.
Mais alors, qu’en est-il de nos autres actes pulsionnels ? Autrement dit, y a-t-il un fondement à la répression volontaire des pulsions qui nous poussent à dominer, à posséder …tout comme il y aurait un fondement –positif celui-là - à nos actes altruistes ? Pourquoi le libre jeu de la Volonté de Schopenhauer, de la volonté de puissance de Nietzsche, de la poussée de Bergson, du conatus-désir de Spinoza ne mériterait-il pas autant d’égards que la compassion instinctive ? Pouvons-nous affirmer que le sentiment de plénitude, de joie qui s’accroît lorsque nous menons une vie simple dans la pleine conscience adéquate des motifs qui nous agitent est d’une qualité supérieure au sentiment de puissance… et d’orgueil qui nous étreint lorsque nous satisfaisons notre désir d’avancer…et de dominer ? Est-ce parce que la volonté de puissance finit toujours par buter sur une limite qui l’arrête et la frustre, augmentant la tristesse ? Qu’est-ce qui pourrait décider le commerçant à la tête d’une entreprise florissante à brider son envie d’expansion pour pouvoir consacrer plus de temps à ses enfants, pour ne pas détruire la vie sociale des entreprises concurrentes etc… ? Peut-être l’intuition, ressentie dans les moments de calme et de solitude, du caractère compulsif, névrotique, narcissique de ce besoin de posséder pour conjurer ses peurs (tout à l’opposé de l’impression de plénitude, de don que l’on éprouve en s’immergeant dans la nature par attention consciente à la vie et à nos semblables)? Et n’est-ce pas aussi, en dernier ressort, le rôle de la Loi (et/ou de la religion « passive » de Bergson, « salut des ignorants » de Spinoza) de veiller à ce que les intérêts particuliers ne puissent mettre en péril l’intérêt général ?
A suivre : Le Langage, la Raison, l’Ethique …
Michel
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Réponse à Michel. Cher Michel,
RépondreSupprimerNos allons fonder le club des pessimistes, tes réflexions suscitent les miennes mais il ne faudrait pas que nous induisions une norme trop philosophique. Le CAPI "cahier d'Autoformation et de Pédagogie Institutionnelle peut réunir des témoignages et/ou des révoltes contre les institués avec la simple envie de les communiquer en encore des photos, des plans de montage (de four solaire par exemple) des récits ou des idées de voyage équitable en rapport avec nos propos.
La connaissance de troisième type de SPINOZA
"Plus l'esprit connaît de choses, mieux il comprend et ses propres forces, et l'ordre de la Nature; or, mieux, il comprend ses propres forces, plus il lui est facile de se diriger et de se proposer des règles; et mieux il comprend l'ordre de la Nature, plus il lui est facile de se garder des inutilités; et c'est en ces choses-là que consiste toute la Méthode."
Le premier type est celui du ressenti affectif et de l'intensité de l'état d'une cause extérieure en conflit avec la nôtre.
Le deuxième type est celui de la raison (et non de la croyance en la Raison) qui nous invite à modérer nos appétits par le seul amour de la liberté et des vertus d'égalité et de fraternité. Nous devons réfléchir aux injustices que subissent les gens en particulier dans le Tiers-monde et la manière dont elles peuvent être évitées par la générosité sans pour autant haïr les spéculateurs.
Le troisième type est celui de l'intuition créatrice pour percevoir la "chose en soi" de la nature avec son potentiel de destruction et de restauration et comprendre que nous sommes un simple élément de celle-ci, c'est alors accepter l'éternité de l'univers en ne l'amalgamant plus avec nos représentations de la durée et des déterminismes sociaux.
L'éternité et l'immensité du cosmos échappent à nos raisons formatées.
Je pense au contraire que si je veux à tout prix expliquer un phénomène complexe (le mettre en système par des arguments logiques uniquement), je le mutile ou je le détruis. Nous ne pourrons jamais connaître la cause de la cause mais nous pouvons éprouver du plaisir en la cherchant comme un jeu, la joie de l'enfant qui joue en sachant que c'est "pour rire" avec détachement de l'objet tout en étant l'objet.
Le Dieu de SPINOZA est la nature avec la puissance de l'agir, de se reproduire puis de produire et enfin de se conserver avec le CONATUS, l'effort, la volonté de vivre qui nous anime à persévérer dans notre être qu'on soit plante ou homme. La plante se tourne vers la lumière pour sa photosynthèse et nous, nous recherchons l'émancipation de nous-mêmes pour trouver l'affirmation du soi. Nous sommes désir de vivre, ce qui est à l'opposé des théories dominantes d'être réduit à nos pulsions animales et à la puissance de l'inconscient freudien.
L'homme désire connaître pour déployer son être qu'il s'efforce d'imaginer. La relation que nous avons avec d'autres puissances soit renforce l' être (joie) ou lui nuit (tristesse) par réduction de sa puissance. Le bon ou le mauvais, c'est ce qui m'est utile ou bien entrave ma puissance. Le désir n'est pas l'envie de ce qui nous manque ou un quelconque péché pour culpabiliser mais la puissance qui fonde le désirable : comprendre ce qui nous est utile est l'activité de la raison et non des idéaux inaccessibles et frustrants.
JM
(cit SPINOZA, Traite de l'amendemenetde l'intellect, Paris, Allia, 2009, p.63